mercredi 1 décembre 2010

Ville noire

La dernière fois : Bonnita T.& Gwyneth B. sont à S.F depuis deux jours, ils ont eu le temps de danser, d'acheter une chemise à motifs de petite culotte et de cruellement abandonner un couch-surfeur. Nous les retrouvons au moment où ils se réveillent.

Ce matin-là, après le petit déjeuner, la Canadienne bénévole qui travaille dans notre auberge de jeunesse a déclaré : ce soir il y a quelqu'un dans votre lit et ce n'est pas vous (une sombre histoire de réservation). Alors, on a plié bagages, on est parti de l'auberge, pour toujours, en saluant chaleureusement Russes, Espagnols, Turcs, Chilliens, Brittons, Islandais, Japonais, Coréens, Grecs, Italiens, etc.

Sans trop savoir si on allait rester à San Francisco, on est monté dans la voiture et on s'est dit : bon-quand-même-un-musée, non ? Dans le quartier des musées de San Francisco, on a cherché une place cherché une place cherché une place en rebondissant pendant une demi-heure dans les sens uniques, et finalement, on s'est garé un peu plus loin, dans un quartier sans nom ni attribut. Là, toute première expérience de tourisme chronométré de ma vie. On a mis 1 ou 2 dollars dans un parcmètre obligatoire à deux heures de durée maximale (en fait, pendant que Bonnita attendait dans la voiture, je suis parti faire de la monnaie dans une station service et je suis tombé sur un chinois agressif, certainement le Chef des Stations-Services, qui n'a jamais voulu me donner de monnaie, alors je suis allé dans un genre d'épicerie multiservice (tabac + gel douche + balles rebondissantes + radio réveils (par exemple)) où une autre Chinoise a, cette fois-ci, bien voulu faire éclater mon billet de 10 dollars (qui était brûlé dans son angle gauche (mais ce n'est pas une raison)) pour me donner un peu de monnaie et on a laissé notre voiture là, en sachant qu'on avait deux heures, deux heures pile, pour voir un musée avant de recommencer à chercher une place, chercher une place, chercher une place.

Sur un mur du quartier des musées de SF il y avait une voiture collée sur un mur comme un moustique sur un pare-brise :


et, dans la rue, des gens au téléphone :

On est rentré dans un premier musée et là, non, vraiment, c'était trop cher pour voir Calder, 19 $, nous ne sommes pas Martha and Bruce Atwater, ni Caroline and Preston Butcher, et encore moins Jean and James Douglas Jr., les gens qui ont donné entre 100 000 et 499 999 dollars au musée en question :

pour y faire faire ce beau trou :

et cette modeste cage d'escalier :

en plus, Calder, on connaît. Alors, on est ressorti et j'ai commencé à être fasciné par les nitescences du trottoir :

pendant qu'on marchait vite, le plus vite possible, tic tac tic, en essayant de trouver un autre musée avec un programme soit très intéressant soit très abordable soit les deux, mais vite. Je me suis amusé à prendre n'importe qui en photo, en douce, en appuyant sur le déclencheur au hasard et j'ai capturé des gens comme ça :

Puis on est arrivé en face du Jewish Museum et les trottoirs sont vraiment devenus hystériques :

pleins d'éclats :

comme des étoiles :

ou, je ne sais pas moi, accompagnés de sinople en pointe d'argent sur le tout du tout :

Puis on a traversé la rue n'importe comment et on s'est retrouvé là, dans cette touffe de buissons qui va de gauche :

à droite :

tout au long de la rue.

Et on est rentré dans le Jewish Museum. Il nous restait quelque chose comme 1h30 avant que notre voiture explose. Je n'ai absolument aucun souvenir de l'expo. C'était des artistes juifs, ça j'en suis sûr. Certains ont bien dû parler de la Shoah, mais ça, je n'en suis pas sûr. Je crois bien qu'il y avait des dessins d'une jeune femme, une illustratrice pour le New-yorker, qui avait un humour juif. Mais je me souviens surtout que je n'arrêtais pas de regarder l'heure. À un moment, il y a eu une Torah en terre cuite, je crois, exposée sur une table en bois noir. Puis on est sorti du musée. Il nous restait 20 minutes de tourisme avant que le trottoir de la rue ne se soulève et qu'un Dieu Contractuel ne nous avale. On a marché un peu dans le quartier des musées puis on est arrivé à la voiture et il nous restait 10 minutes de vie. On s'est dit bon, on va chercher un hôtel ou alors on part vers la campagne ou alors on va voir le Golden Gate Bridge ou alors on va manger un morceau à Mission ou alors on va voir l'exploratorium ou alors on va à Oaksterdam acheter de la beuh ou alors on va refaire un tour en cable car ou alors on va voir South Market et il nous restait cinq minutes de vie et on s'est dit bon on va voir et Bonnita Troccoli a démarré la voiture. On a roulé. D'un coup, on est tombé d'accord, télépathie, marre de la ville (depuis deux jours j'ai cette chanson dans la tête :



et hier, j'ai croisé un mec dans la rue, un Noir tout gris, enrhumé, plus ou moins pimp des années 70 avec long manteau en agneau et casquette Burberry's, alors que je fumais une clope devant l'auberge, dans Ellis Road ou Drive ou Street, et qui m'a dit " how you doin'?" ( je ne sais jamais quoi répondre à ce "how you doin'" ; le "comment ça va ?" français est personnel, ici, il semble général et je ne m'habitue pas) et je lui ai répondu "good and you ?" parce que ça doit être ça qu'il faut répondre et à son tour il m'a répondu : "you know... dis thing with money..." en s'éloignant d'un air las et aussi, avant-hier soir, on a vu tellement de gens complétement détruits errer dans le Tenderloin à quatre heures du matin et puis, cinq heures avant, j'avais déjà donné 2$ à un clochard qui nous avait gentiment signalé que nos phares étaient éteints en pleine nuit, et puis sept heures avant tout ça, une pauvre femme borgne et alcoolique nous avait accompagnés pendant cinquante mètres pour nous taxer de quelques dollars (je ne sais pas ce que j'ai, c'est peut-être l'âge, mais la misère dans les grandes villes me déprime de plus en plus) et puis SF coûte un max de fric, tout ce bordel est incroyablement cher, et puis aussi, on a surtout envie de voir les grands paysages américains plutôt que de reluquer leur enfer urbain déprimant) envie de campagne, on trace, on s'enfuit, zou, et on a pris la route.

On est passé sur un pont géant :

un pont à double étage :

et on s'est retrouvé sur une île en face de San Francisco, où une jeune fille laissait flotter son châle vert :

et on a pu admirer la skyline :

voir des bateaux comme des abeilles :

et manger un club sandwich :

avant de reprendre le pont géant :

et de s'embarquer sur les entrelacs autoroutiers :

Bonnita a dit : on pourrait aller boire un coup à Soma ce soir, j'ai vu qu'il y avait un concert là-bas et j'ai dit : nan, dans le guide il disent que Soma c'est crime, meurtre et flingue, l'ambiance générale, laisse tomber, et Bonnita a répondu : couille-molle, en riant.

Puis on a mis la radio. À ce moment-là, il y avait des émeutes à Oakland, la ville en face de San Francisco, la ville de Huey P. Newton et Bobby Seale, les deux fondateurs du Black Panthers Party. Il y avait des émeutes à Oakland, des émeutes pour Oscar Grant, qui s'est fait tuer par la police (par le BART pour être exact, la police du métro de la Bay Area (SF + Oakland + d'autres villes)) alors qu'il n'avait pas d'arme sur lui, comme d'habitude, rien ne change, Oscar Grant qui s'est fait tuer dans le métro, comme vous pouvez le voir sur cette vidéo :



et son meurtrier avait été condamné, on l'apprenait au moment où nous passions sur ce pont après avoir mangé un club sandwich, à une peine pour homicide involontaire, ce qui qui justifiait les émeutes à Oakland, Oakland qu'on allait juste traverser, et dont voici la seule image que j'ai prise :

Après Oakland, c'est devenu jaune et vert :

mais les maisons dans la prairie semblaient mal en point :

et on est repassé sous un pont :

puis on vu des trucs accrochés à des fils barbelés :

et des voitures publicitaires cheulou :

et des bétonnières chromées :

et des petits ballons rouge bleu et vert qui dépassaient d'un mur gris :

[J'adore cette photo]

et un S.U.V blanc :

et une Ford blanche :

et une Mercedes avec une table sur le toit :

et on arrivé dans une aire jaune géante :

avec une croix dessinée dedans :

et il n'y avait plus que la route et du jaune :

la route et du jaune, la route et du jaune :

du jaune et du chrome :

et la route et du jaune :


Enfin, il a commencé à faire vraiment très très chaud et quelque palmiers ont surgi :

et des maisons en batterie :

puis un hangar :

et nous sommes arrivés, sans trop savoir comment, après avoir mangé une glace et cherché notre chemin sur une carte (on visait les montagnes du Yosemite), nous sommes arrivés à Woodward Reservoir National Park, le camping le plus pourri de l'ouest, qui ressemble à la base nautique de Gennevilliers, avec un grand lac plein de foutre et d'uranium :

et des canapés morts plantés là :

Ici, il y avait encore des bêtes, des bestioles, des saloperies d'insectes bouffeurs de chair humaine :

(moi, j'en ai marre du camping, j'ai dit à Bonnita)

On a jeté notre tente là :

en virant les oies :

qui chient un peu partout :

au millieu des mégots :

et des cuillères en plastique décapitées :

Ça, c'est le point d'eau où j'ai lavé notre glacière pleine de Ketchup moisi, de beurre et de glaçons fondus :
Ce cendrier géant :

où l'on brûle les arbres :

plein de vielles capotes marron :


et de groupes éléctrogènes :

ne semblait pas autrement gêner Bonnita Troccoli qui préparait gaiement le feu en utilisant des bûches à poignées jaunes :

Bonnita Troccoli a un côté Belge. Elle a passé toutes ses vacances d'adolescentes à Dehaan avec sa meilleur copine, Alva, toutes les deux à trainer à la fête foraine en chantant des chansons de Renaud, une des périodes les plus heureuses de sa vie. Malgré capotes marron, chiures d'oies et vrombissement électrogène, Bonnita Troccoli était jouasse. Pour vous donner un exemple, on n'avait rien à manger, rien de chaud, et j'ai dit merde on n'a rien à manger, j'en ai marre du camping, et on n'a toujours pas de réchaud, fait chier, on aurait dû aller au motel, et Bonnita a dit d'un air enjoué : on va manger froid ! et je suis resté sans voix.

En dehors du lac, ici, on avait surtout vue sur les autres :

des familles de 36 gosses, avec des pitbulls, des pick-up noir mat réhaussés haut comme des arbres, des voitures rouges luisantes, des voitures avec un équipement sonore disproportionné :

et tout autour, jusqu'au coucher de soleil, jet-ski et pêche dans le lac-baignoire. J'ai pensé prolobeauf, j'ai pensé inoxplastique, j'ai pensé Lumpenland, j'ai pensé vacances de paysans et vacances des citadins où la grand-mère emmène les petits-enfants voir les oies qui chient partout, et je me suis demandé si ce lac, qui est surtout un réservoir géant, je me suis demandé si ce lac-réservoir-géant servait à arroser les champs d'oranges des alentours, des oranges arrosées d'essence de foutre et d'uranium qui partiront réjouir les petits-déjeuners d'un million et demi de Québécois hébétés par l'hiver, puis ça a été le coucher de soleil :

et les lampadaires se sont allumés :

On a mangé froid. Nos voisins ont mangé chaud et bruyamment. Leur nappe, c'était un drapeau américain posé sur la table de pique-nique et ils n'arrêtaient pas de gueuler. Après le dîner, notre voisin s'est mis à hurler : Spank ! ( "fessée" en français), Spank ! Spank ! avec son accent texan (Speïnk ! Speïnk ! Speïnk !). Il semblait complètement saoul. Il marchait bière à la main en hurlant après son chien disparu Speïnk ! Puis, dans le noir complet, il est venu se planter à côté de nous. À cinquante centimètres de nous. Dans la zone d'intimité. On pouvait sentir l'odeur de bière. Puis il a dit quelque chose d'incompréhensible et on lui a dit : what ? We don't know, we're French et il est resté coi, il ne nous a jamais répondu, il est resté là et il a fait comme si nous n'existions pas, comme si on ne lui avait jamais répondu. Le quelque chose d'incompréhensible devait sûrement être en rapport avec ce son of bitch de Speïnk parce qu'il a recomencé à hurler Speïnk ! comme si nous n'existions pas et tout à coup, une petite créature marronasse et bien trop velue pour être honnête a surgi de la nuit en glapissant kaï, kaï, kaï et c'était bel et bien Speïnk qui revenait d'une fugue et que le gros ventre de notre voisin a accueilli d'un câlin obscène et bruyant : my lil'speïnk where've you been at ?, effusion qui se passait, là, chez nous, pratiquement sur notre table de pique-nique.

On a fini par aller se coucher et les oies qu'on avait virées sont revenues en douce se coucher à trente centimètres de notre tente. Depuis nos duvets, on pouvait les voir gigoter en ombres chinoises sur la toile de la tente à cause du Plan Lumière du voisin, un genre d'éclairage de stade de foot spécial camping sauvage.

La prochaine fois : La Montagne du Gros Grizzly.

2 commentaires:

  1. Vive les trottoirs hystériques!
    Encorra!
    Par contre là ça veut dire que Science Fransisco, c'est pas ce qu'on dit de la gaité alors...je voyais un truc carrément détendu du pelvus solaire et voilà que ça ressemble à du lino-paillette.

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  2. Mais non, mais non, Saint-Francis, ça doit être super, mais nous n'étions pas dans un esprit urbain, voilà tout. Et puis toutes les grandes villes méritent la mort.

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