En montant dans la voiture — et même si Bonnita avait mis sa plus belle robe — j'étais morose. Salinas semble être un endroit idéal pour déprimer. Il n'y a franchement pas grand-chose là-dedans, on dirait. Un bled de culs-terreux, de dos-mouillés, de paysans vieux et fripés comme dans ce genre de photo :
, comme à l'époque de Steinbeck ( il y a un musée Steinbeck à Salinas). Le genre d'endroit où je pourrais lire et relire le même livre pendant deux mois jusqu'à devenir agressif à la simple idée de parler, un endroit à dormir toute la journée, un endroit à bredouiller en achetant des clopes, un endroit à se branler et à se rebranler et à se branler encore en rêvant d'une jeune fille croisé dans la rue, un endroit à ne rencontrer que des clochards.
La rue principale de Salinas était positivement immense et quasiment entièrement neuve ( moins de 30 ans). On s'est garé dans une rue adjacente déserte et tout aussi positivement immense. Puis on est rentré dans une pizzéria toute à fait banale, neuve de la même manière qu'un Mac Donalds peut être éternellement neuf. Lorsque j'ai vu une note scotchée sur la vitre du buffet de la pizzéria qui disait : Handicaped, Ask for Help, je me suis dit, très sérieusement, les Etats-Unis sont vraiment bien plus avancés que nous dans les équipements pour handicapés, voire même dans la conscience qu'il existe des gens handicapés et qu'ils ont peut-être besoin d'aide pour se servir à un buffet, et je me suis dit, en souvenir des équipements de la piscine du camping de Santa Margarita, ils ont la place des pentes ( les pentes pour faire glisser les fauteuils roulants) et j'ai regardé autour de moi et dans la pizzéria régnait comme une ambiance de cantine scolaire.plateau en plastique rouge.maison de retraite et s'il n'y avait pas eu quelques ducktails :
assises à une table, jamais de la vie ni Bonnita ni moi n'aurions cru qu'un concert psycho-rockab'-hillbilly s'apprêtait à barder ici.
Au comptoir, on a cru avoir séduit le serveur avec notre accent français qui pourrait presque passer pour mexicain. J'ai commandé une Hawaïenne et Bonnita Troccoli a pris une Rodéo. Sur les cinq écrans plasma de la salle, cinq programmes différents de sports ou de météo. Au plafond, des néons. Au sol, du carrelage (beige). Posés sur le sol, des meubles neufs Hôtel Ibisoïde. Autour de nous, un vieux couple ( blanc) dont la dame est élégante et apprêtée, et quelques américains (blancs) avec casquettes et vêtements de sport. Pendant qu'on dévore nos pizzas, commencent à s'installer d'énormes baffles noires et tout l'attirail habituel des trouvères électrifiés. Un Mexicain à la peau très foncée, aux cheveux très gominés, aux rouflaquettes très longues, au sourire charmant et à l'air vraiment gentil semble être le manager-soundman-roadie de toute cette affaire mais je n'en suis pas sûr, parce que pas mal de gens filent un coup de main, portent guitares, pieds de micros, câbles et fly-caisses noires montées sur roulettes. Au fur et à mesure, arrivent quelques jeans à l'ourlet impeccable, quelque chemises à carreaux, et plusieurs tatouages plus ou moins complexes et colorés. On dirait que tout le monde se connaît et personne ne fait attention à nous. Quelqu'un a un bandana rouge plié dans la poche arrière de son jean brut-brut. Une femme a des talons hauts, des bas résilles, un tailleur noir, les seins en parapet alpin, une rose dans les cheveux, une vilaine peau et un air mauvais de vieille pute. Puis le vieux couple dont la dame est élégante et apprêtée s'en va avec un sourire " amusez-vous-bien-les-enfants " et la lumière s'éteint et la météo et le sport sont remplacés par une vidéo qui nous raconte l'histoire de So-Cal , une entreprise apparemment pionnière dans les voitures hot-rod, les buggies, les dragsters, bref, les monstres mécaniques, et la musique commence :
Autour de nous, tout devient vraiment genre Burlesque-Fonzie-Skate ou Aztèque-Hillbilly-Surf. Un adolescent, bonnet en laine noire très épaisse sur la tête, a un tee-shirt avec cette photo imprimée :
sur une chanson qui mélange Banda et Rockn'Roll ( très réussi ce mélange, difficile à décrire mais très réussi, ( très joyeux)). La musique est forte, évidemment, et une famille planque ses deux nourrissons en se mettant un peu à l'écart de la scène où une contrebasse, une batterie et une guitare s'excitent tranquillement. Puis je sors fumer une clope sur le parking ( immense) derrière la pizzéria. Je croise un groupe de poulettes qui cliquettent vers le concert, les descendantes de ce genre de meufs :
Le lendemain, le 9 juillet 2010, après un burrito hors de toute proportion humaine pris dans ce mexo-dinner :
on a décidé de rester une après-midi de plus à Salinas parce qu'il devait y avoir un défilé pour la fête des 100 ans du rodéo à Salinas :
Le matin, j'ai fait la lessive avec des paysans et des familles de paysans et des enfants de paysans, tous ou presque mexicains. J'ai plié nos habits à côté d'un type qui pliait ses habits, et, en voyant l'application qu'il mettait à plier ses habits, je me suis mis à faire très attention à la façon de plier nos habits, alors que d'habitude, je m'en fous un peu, de bien plier mes habits. Mais, à ce moment-là, plier ses habits en faisant attention à bien plier ses habits m'est apparu comme quelque choses de très noble, alors j'ai fait comme le type à côté de moi. Pendant ce temps-là, Bonnita était partie faire je-ne-sais-plus-quoi ( téléphoner à sa sœur ? ( je me souviens juste qu'elle est revenue ( on devait se retrouver au lavomatic) en me disant : oh lalala ! je me suis paumée en cherchant le lavomatic et j'ai atterri dans une zone complétement terrifiante, une rue entière remplie de clochards)).
Après la lessive, on a flâné en attendant le défilé et on a vu trois grands chapeaux jaunes :
il y avait des drapeaux américains :
d'autres s'installaient carrément par terre pour nous montrer leurs ongles :
d'autres marchaient tels je-ne-sais-quel fantôme mauve :
et puis de belles robes tournoyantes ( vous remarquerez les dollars dans la main qui soulève la robe ( je n'ai même pas envie de savoir à quoi correspondent ces dollars )) :
et encore un tequel-LGBTQI :
c'en était fini du défilé des enfants. Alors que le jour déclinait, le début du défilé des adultes à été marqué par l'entrée en scène d'une gigantesque Santiag rouge et bleue :
Puis une miss historique est venue nous saluer ( zombie) :
Puis le Hummer (!?) d'une banque locale est passé :
puis un Char-botte :
puis un Char-Drapeau (-aigle impérial) :
Pour ce dernier soir à Salinas, on a changé d'hôtel et on a pris un motel à 60 doll. avec lumière rouge dans la salle de bains :
et bien sûr, KING SIZE BED. Alors-là, laissez-moi vous dire que ces lits sont les plus grands lits du monde des lits.
La prochaine fois : San Francisco à toute vitesse.