La dernière fois : Bonnita Troccoli & Gwyneth Bison ont rencontré Stewart, l'Homme qui traverse l'Amérique à pied et ils l'ont embarqué avec eux. Nous les retrouvons loin de l'océan, au camping de Santa Margarita.
#7juillet
Ce matin-là, en sortant ma tête de la tente bouillante, j'ai vu un oiseau mouche :
Stew se lève tout les jours à cinq heures du matin et il était en train de nous préparer une grosse omelette au fromage sur son petit réchaud :
en écoutant Country Music à fond le walkman. Matilda, la structure en métal ( celle qui lui a permis de faire rouler à travers l'Amérique son gros sac bleu que je n'ai pas pris en photo), le regardait du coin de l'œil :
Il avait mis un jean et une chemise propre, s'était taillé la barbe et avait perdu un peu de son bronzage dans les douches-à-25-cents-les-dix-minutes :
Pendant ce temps-là, indéniablement, les nuages étaient toujours bloqués derrière les montagnes :
( couldn't find sunny california at the beach!, dit-il, en hurlant , le casque sur les oreilles ).
Le programme de la journée aurait dû consister à ne-rien-branler-au-bord-de-la-piscine-du-camping ( afin de parfaire notre bronzage
), mais Bonnita Troccoli s'aperçut qu'elle avait perdu la précieuse bague Navajo que son frère Pierce Troccoli lui avait donnée en guise de porte-bonheur ( depuis qu'il habite en Amérique, le Pierce Troccoli s'est mis à croire à tout un tas de choses ( il voit des esprits partout ( j'imagine que ce n'est pas chose facile que d'être le seul à ne pas croire dans un pays où tout le monde croit à quelque chose
)).Pendant qu'on faisait la vaisselle et qu'on rangeait le campement, Bonnita se mit à fouiller toute la voiture pour retrouver coûte que coûte la bague sacrée ( rappel : un duvet rouge / une glacière turquoise / deux draps double vieux saumon / une couette marron / un guide Let's go toute l'Amérique / un guide du routard spécial parcs nationaux de l'ouest américain / 23 paires de chaussettes / huit caleçon et dix petites culottes / un maillots de bain couvert de planches de surf vertes fluo / neuf chemises de cow-boy / deux jeans / trois boîtes de beans ( deux bush's best original ( notre recette de famille secrète (sic)) et une de chez Ralph) / une serviette de bain turquoise / cinq tupperwares / une serviette de bain multicolore / un bodyboard avec une panthère dessiné dessus / une boîte de biscuits Grahams goût miel / deux bouteilles de G2( orange et fruit punch) / six tournevis Stanley / une tente Escort / deux oreillers / une boîte de petits pois Chicaros / une boîte de champignons / une boîte de tomates dans du jus de tomates / une boîte de El Pato ( sauce tomate avec du jalapegno) / deux paquets de spaghetti Barilla / une boîte de Ralph's sweat peas and carrot / trois boites de thon / un paquet de riz / du sel / du poivre / cinq soupe Maruchan ( soupe de nouilles au goût poulet crémeux ) / Deux rouleaux de Sopalin / un paquet de café gourmet colombien suprême / une paire de Van's en suède noir / une paire de chaussures à talon / une paires de chaussures de randonnée / une paire d'imitation de Converse / 29 Cdr / une boite d'upsa / un spray anti-moustique / une boite de maïs / 30 tortillas / deux oranges / deux bananes / trois tomates / un concombre / un melon / deux patates / cinq bières Stella Artois / une bouteille de cognac / une carte d'Arizona / une carte de l'ouest américain / une carte de San Diego / une étude d'ethnographie cognitive / une fleur en plastique / un pull militaire fabriqué au Canada / un ensemble de bain violet... ).
Après une heure de lutte contre l'immensité de saloperies qui encombrait notre voiture, Bonnita renonça et partit téléphoner à son frère Pierce pour lui annoncer le sombre présage de la bague perdue. Avant qu'elle ne parte, Stew, qui semblait vraiment désolé de voir Bonnita désolée, lui rappela qu'il avait lui aussi perdu son dollar d'argent le jour de notre rencontre, à la caféteria de Faria :
Tout ceci dépassant largement mes compétences ( j'ai toujours été nul en signes et augures ( on pouvait parfaitement lire cette double perte comme un échange de pertes, mais bon)), je finis par aller me baigner tout seul.
Je nageai silencieusement pendant une heure, surveillé par deux maîtres-nagueuses, dans une minuscule piscine de 15 mètres de long ( il est interdit de se baigner dans le lac de Santa Margarita, car ce n'est pas un lac mais un réservoir pour S.M et sa région ( vous ne pisserez jamais dans un réservoir d'Américains )). Les deux filles en tenue officielle de sauveteur :
papotaient en lisant des journaux à scandale pendant je faisais des allers-retours dans l'eau hystériquement turquoise. Elles profitaient aussi de leur position supérieure dans la hiérarchie des nageurs de piscine pour pousser le Rn'B au maximum de ce qu'une enceinte de petit transistor peut donner :
( on a entendu ce son partout pendant le voyage ( pour être honnête : secrètement, j'adore cette saloperie ( et le clip est dément ( à la fin, il y a un genre de mamal-éjaculation de chantilly tout à fait scandaleux))).
Finalement, une heure plus tard, Bonnita Troccoli m'a rejoint. Son frère Pierce avait parlé et sa langue était droite. Il expliquait la perte de la bague comme un petit loyer que nous devions verser aux Esprits pour ( par exemple) :
1. la rencontre avec Stew
2. la piscine turquoise et les maîtres nageurs
3. la vision d'un oiseau mouche
4. la délicieuse omelette au fromage de Stew
5. notre bronzage naissant
6. tout ces chênes grandioses autour de nous
7. ce mois de tourisme payé en partie avec l'argent du contribuable ( Chômage + RSA = ChôRSA)
8. etc.
La bague Navajo semblait faire partie d'un cycle où les objets se déplacent selon certains critères commerciaux ; elle était repartie dans le Grand Cercle des Objets Trouvés et nous avions payé aux Esprits ce que nous leur devions. Il ne restait plus qu'à sécher ses larmes et à plonger dans l'hystérie turquoise sous surveillance ; ce que nous fîmes, rejoints par une famille mexicaine dont les enfants étaient adeptes de Bombe,
ces sauts dans l'eau qui visent à éclabousser ses partenaires aquatiles.
Tout était redevenu tellement doux ( et justifié spirituellement ) qu'on a commencé à se demander si on ne devrait pas garder Stew avec nous pendant tout notre voyage, comme lucky charm.
Après la baignade, on l'a rejoint ( il discutait avec les voisins) et on est parti faire des courses et visiter Santa Margarita :
une jolie ville de campagne où on s'est dit : " bled-authentique " et on a bu un smoothie ( banane pour moi ; fraise pour Stewart ; mangue pour Bonnita) en parlant cinéma ( Stew avait trouvé 300 très mauvais, sans autre histoire que celle des effets spéciaux mais il adorait Ransom avec Mel Gibson ( pas vu) Braveheart & Gladiator ) ce qui m'a permis de comprendre que Stew adore les punch lines, les jeux de mots et les blagues et qu'il semble avoir un aphorisme pour chaque situation ( au bout d'un moment, je me suis dit : le type parle comme dans une chanson ( ce qui comporte certaines limites, notamment la limite du concert permanent)). Ensuite on a été acheter du bois pour le feu :
et en sortant du magasin, j'ai vu une affichette agrafée sur un poteau électrique. On y voyait le visage d'un homme, un genre de photo d'identité. En-dessous, son crime ( sex-offender). Et enfin, sa nouvelle adresse, dans le comté de Santa Margarita. J'ai demandé à Stewart si cette affichette était destinée à avertir les habitants de Santa Margarita qu'un sex-offender s'installait dans le coin et Stewart m'a répondu : " You gotta protect the children" comme une évidence.
On est rentré au campement, en regardant les nuages toujours bloqués dans les montagnes :
et j'ai commencé à penser à l'idée de garder Stew avec nous ( il faudra savoir s'arrêter au bon moment ( je crois ( pas de pitié ( d'égal à égal ( de toute façon easy come easy go ( la Loi de la Route ( on ne pourra pas faire autrement ))))))).
Le soir venu, et après avoir dîné de je-ne-sais-plus quoi, on était invités à manger des S'mores chez nos voisins du dessus ( du campement au-dessus de nous), un couple dont le mari est prototypiste et la femme infirmière ( les S'mores c'est ça :
un cauchemard de nutritionniste, des chamalow et du chocolat pris en sandwich entre deux biscuits au miel ( S'more est une contraction de Some more ( c'est dégueulasse comme le dernier clip de Katy Perry & Snoop Dogg)).
Tous deux habitent la Sillicon Valley et trimballent un matériel de camping extrêment perfectionné. L'homme, à qui il semble ne rester que le camping pour s'affirmer, grand, gras, et qui semble aussi totalement soumis aux caprices de sa femme ( le camping dans leur couple est peut-être une vengeance ( mais j'interprète)), m'a montré ses pagaies fabriquées à la main ( un genre de tableau de bord Volvo en ronce de noyer pour pagayer dans un lac :
( 500$ la pagaie)) avec un air fiérot que j'ai refroidi ( sans vraiment le faire exprès ( c'est sorti tout seul)) en lui posant une simple question : How much did you pay for that ?
La femme du prototypiste semblait avoir de faux seins, de fausses dents et un faux cerveau qu'elle utilisait surtout pour faire d'ineptes et condescendantes remarques d'une voix affreusement aiguë ( je ne sais plus pourquoi, mais à un moment Stewart a sorti son minuscule ouvre-boite hérité de l'armée ( un truc très pratique et pliable, grand comme un ongle de pouce) et la femme-nurse, propre et sexy comme une brosse à dents, s'est mise à vouloir imposer son propre ouvre-boite qu'elle qualifia de decent ( ce qui peut à la fois vouloir dire décent et approprié) avec un sourire à la fois carnassier et innocent
).Pendant que l'on engloutissait quelque S'mores ( ce truc produit a peu près les même sensations dans l'estomac qu'un manège de parc à thème), Stewart leur raconta exactement la même histoire que celle qu'il nous avait racontée, les même anecdotes, les mêmes blagues, les mêmes astuces ; sa routine, son profil. Ils écoutaient son histoire gentiment ou alors, ils ne l'écoutaient pas du tout, préférant raconter leurs propres anecdotes.
En partant, je me suis un peu foutu de la gueule du prototypiste et de la nurse, mais Stewart a fait comme s'il ne m'entendait pas et il a dit : " They were very friendly " et j'ai pensé : Stewart tu rêves ou quoi ? mais après, je me suis rappelé que dans Le Clochard de Beverly Hills :
( j'ai du voir ce film 15 fois entre 7 et 9 ans), il y avait un happy end ( les riches comprennent les vraie valeurs de la vie en rencontrant un vrai clochard joué par Nick Nolte) et je me suis dit, bon-d'accord : they-were-very-friendly ; briseur de rêve, ça ne me branche pas trop ( même si je ne crois pas que Once in a Lifetime ( pourtant une très bonne chanson ( la B.O du Clochard de Beverly Hills, en fait ),
je ne crois pas que Once in a Lifetime raconte une histoire réelle).
Et on a fini par se coucher dans nos tentes respectives avec le chant des crapauds-buffle — au début j'ai cru que c'était le son d'un ours en rut— nous guidant vers le sommeil.
# 8 juillet :
Je ne sais plus vraiment ce qu'on a fait dans la journée ; sûrement un peu de piscine, une ballade autour du lac ; Stewart a écouté de la musique avec son walkman et on a eu une discussion à propos de musique ( une grande partie de son savoir historique vient des chansons et des films ( comme moi, mais il en connaît beaucoup plus) et il m'a montré l'équipement de Jaz pour traverser l'Amérique à pieds :
et il m'a appris un mot ( colloquial = idiomatique ) et quelques expressions ( fruit pour dire gay ( péjoratif, je crois) et that's no skin off my nose = it doesn't matter) et je lui ai prêté un bouquin et il s'est mis dans sa tente pour le lire et on a tous été faire une sieste pendant un moment.
À un autre moment, j'ai été seul avec Bonnita et elle m'a dit (≈ ) : " le problème... c'est qu'il n'y a... il n'y a rien de personnel entre nous... moi, pour me faire un ami, j'ai besoin de savoir... qu'on se raconte un peu, et là... c'est comme si on avait un seuil entre nous ... son secret (si c'est un secret)... et puis , il y a ce truc de dépendance... [ Bonnita a Grande Expérience en Losers Magnifiques ; dans son travail, elle fréquente tout un tas de déglingués bien plus déglingués que Stew ] ... et c'est pas bon, ça... la dépendance, faut faire attention, parce que sinon ça va être horrible pour tout le monde... à mon avis, et puis j'ai envie... " , moi aussi — j'ai dit, là, j'ai envie, " j'ai envie... il faudrait qu'on parte demain... ce serait bien... " et j'ai dit : " oui, demain, on se sépare, c'est bon-on-se-casse, bats-le Billy Jean ".
Ce matin, en me réveillant avec la tête comme une grosse goutte, j'ai vu un busard dans le ciel bleu :
Bonnita Troccoli ajouta : " moi, je peux pas lui dire ça... je vais chialer c'est presque sûr " et je lui ai dit : " je le ferai, on va s'entretenir, je vais le faire, j'interviendrai, je vais lui dire, je lui parlerai et je vais lui dire, lui expliquer, je vais aller le voir, on va discuter et je vais lui dire ... " et j'ai pensé : c'est comme un amour-de-vacances ou quoi-ce-bordel ?
Le soir venu, de nouveaux voisins sont venus dîner, encore de sympathiques voisins, des musiciens qui faisaient une pause dans leur tournée mal payée ; un fils à papa noir ( le batteur) et une blonde hystérique ( la guitare et le chant) qui veut des enfants rapidement, tout de suite, parce que l'horloge, à 36 ans, it's now or never comme dans Elvis, mais elle ne veut pas d'enfants avec le fils à papa noir de 24 ans dont les parents possèdent une grande, très grande maison à Orange County (L.A); il est trop jeune, 24 ans.
Elle a dit tout ça à table, à la cantonade, elle l'a dit à tout le monde comme si c'était normal, que ses problèmes étaient de toute façon beaucoup plus intéressants que les nôtres, alors qu'on se connaît depuis un quart d'heure et qu'elle en a déjà profité ( de ce quart d'heure) pour nous chanter Sa chanson et pour nous donner l'adresse de son Mon-Myspace mais aussi, et surtout, ce qui m'a le plus énervé, c'est que, pendant le dîner, elle a donné notre purée et nos steaks trop cuits à ses chiens, en douce ( la fourbe), sous la table, alors qu'on avait brûlé tout notre bois pour cuire son steak et faire bouillir son lait et qu'elle s'était pointée avec juste sa chanson et ses deux bières minuscules ( la sale petite saltimbanque) et qu'elle s'était permis de glisser son assiette sous la table pour que ses espèces de chiuauas géants, pissant et glapissant partout sur mon campement, mangent nos steaks trop cuits comme si on n'allait rien voir, même pas s'en apercevoir, alors que nous, même si c'était un barbecue raté, nous on a brûlé tout notre bois pour lui cuire son steak, et moi, je l'aurais bien mangé sa putain de purée, j'avais encore faim, pourquoi elle pas dit tout simplement : j'ai-pas-faim ? pour éviter nos steaks trop cuits, hein ? c'est plus le Far-West ici, tu te crois où ? Tu ferais ça chez Pierce Brosnan ?
#9 juillet
Après le petit déjeuner, Stewart faisait la vaisselle. Je l'ai rejoint pour lui parler. J'ai commencé par une grande phrase explicative et floue : " Stew, you know, me and Bonnita we'd like to move today ... " et il a dit, enthousiaste : " So where are we Going ?! " et ça m'a saoulé, mon anglais étant ce qu'il est, je ne savais pas comment euphémiser la situation, alors la fin de quelque chose est arrivé en une phrase : " Où est-ce qu'on te dépose ?".
Stew a eu un air triste, le même voile de tristesse qui était passé dans ses yeux quand il évoquait sa collection perdue de 17 000 films ( DVD, Béta, VHS, all types of films) ou quand il disait I miss my computer, et il a dit : " oh, i'm going up north, you know... " et je lui ai dit bon, ben, on va repasser par l'ocean, on te dépose vers l'ocean, et là, Stewart a commencé à se reprendre et on a regardé la carte ensemble, et on a dit d'accord, on te dépose là.
Dans la voiture, Jasmine regardait dehors :
et on ne parlait pas trop. Arrivé dans la grisaille de bord de mer, on a mangé un dernier sandwich à la dinde et aux canneberges et on a sorti Matilda sur le parking du restaurant, et Stewart nous a dit Thank you so much et on lui a répondu merci à toi et Bonnita Troccoli s'est mise à pleurer alors qu'elle ne voulait pas pleurer et j'ai pensé que si on avait été une communauté au lieu d'être un putain de couple, on aurait put se partager le pépère et j'ai froncé fort mes sourcils et on s'est dit adieu.
La prochaine fois : Big Sur, une tique dans la cuisse, comment on a traversé un nuage en voiture, moins de texte, plus de photos.
compte rendu qui donne envie de suivre la meme route. LA SUITE GOD DAMN!!
RépondreSupprimer2d
perso, j'aurai rien contre autant de texte et autant de photos pour la prochaine livraison.
RépondreSupprimerles portraits des rencontres sont croustillants à point.
ouais ! juste plus de texte et plus de photo ! ouais ! ouais ! oauis
RépondreSupprimerOh ! on se calme ! C'est moi le chef.
RépondreSupprimerEn plus, elle est quand même Orrible cette histoire.
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